Qui mange quoi?

On parle toujours de cuisine de campement, de cuisine médiévale, mais qu'en est-il vraiment? Les plats historiques retranscris dans les manuscrits de cuisine tel "form of cury" pour l'angleterre, "liberi" pour l'italie, "mesnagier de Paris" pour la france. Tous sont en fin de comptes des manuscrits "royaux" puisqu'ils sont écrits par les mestres queux, donc les cuisiniers de la cour. Mais alors, que mange-t-on dans les classes en dessous? De quoi sont composés les menus de chaque classe sociale?

Les historiens ont divisés les classes sociales en trois grandes parties:
les bellatores: les bellatores sont les nobles, ceux qui combattent.
les oratores: ils sont les moines, ceux qui prient.
les laboratores: ce sont les paysans, ceux qui travaillent.

Mais alors, quelle alimentation a chaque classe sociale?

Les bellatores sont ceux qui ont besoin de plus de vigueur, parce qu'ils risquent leur vie sur le champ de bataille, donc ils mangent principalement de la viande. Mais le fait de se régaler d'un met plus raffiné que celui autorisé par son rang aurait constitué un "péché de bouche". A l'époque carolingienne, les nobles reconnus coupables de comportements indignes de leur rangs peuvent se voir retirer leur droit de consommer de la viande. Les légumes sont visiblement quelque peu boudés dans l'alimentation aristocratique. ainsi les bulbes, comme les oignons, qui poussent sous la terre, sont considérés comme indigne dans l'alimentation noble.

Les oratores sont sub-divisés en 2 sous-catégories, les moines séculiers et moines réguliers. les séculiers sont les prêtres de paroisse, curés, évêques,... Ceux donc, qui vivent au contact des autres groupes sociaux. A la différence des réguliers qui sont soumis à la règle monastique, les séculiers peuvent consommer de la viande, excepté les jours "maigres" ou celle ci est interdite à tous les chrétiens. en revanche, chez les réguliers, c'est l'abstinence totale -en théorie- de viande. Les premières communautés monastiques ont rejeté les valeurs que symbolisait la viande. (richesse matérielle, pouvoir, force, sexualité, on pensait que la viande excite les sens et conduit a la luxure).
Les moines sont donc censés se rapprocher du régime alimentaire des laboratores, mais comme les moines sont souvent issus de condition nobles, une certaine ambiguïté naîtra. Par exemple, les moines consomment du pain de froment, normalement réservé à l'alimentation aristocratique. Ecarts à la norme qui n'échapperont pas à Bernard de Clairvaux (Saint Bernard) qui s'insurge contre les dizaines de façons de préparer les oeufs des moines de Cluny. En réalité, la viande n'apparait pas aussi taboue que ne le veut la règle. Une maladie ou un état de faiblesse autorise le moine à consommer cet aliment réputé redonner de la vigueur. Ainsi beaucoup de moines se sont fait "porter pâles" afin de bénéficier de cet aliment. Ensuite, les "jours spéciaux", fêtes religieuses, et événements ne manquent pas pour autoriser la présence de viande.

Les laboratores sont plus compliqué à saisir, en effet, ce groupe est beaucoup plus hétérogène que les précédents. les pauvres des campagnes et des villes, mais également les petits artisans et commerçants en font partie. au même titre que les riches paysans, qui profitent sans nul doute d'un régime alimentaire plus varié. En dépit de ces obstacles pour définir le mode de vie alimentaire du laboratores. On peut dire que l'alimentation paysanne repose sur 3 grands points. le pain, le vin et companage (ce qui accompagne le pain). L'usage veut que l'ont trempe dans le vin de larges "soupes", le mot désignant à l'origine des tranches de pain. Il existe bien sur d'autres façons de préparer les céréales, alimentation de base du régime paysan. les galettes et bouillies se trouvent souvent sur la table. les céréales consommées par les paysans sont souvent de second ordre: seigle, orge, épeautre,...
L'autre grand point retrouve les légumes. Poireaux, choux, navets, épinards, oignons,... et légumes secs, comme les fèves. A ceci s'ajoute les légumes sauvages et herbes aromatiques. (champignons, thym, fruits sauvages,...) contrairement à ce qu'on peut penser, la viande n'est pas totalement absente du régime paysan. Ainsi, à certaines périodes médiévales, les humbles ont consommés des viandes de chèvre, porc, et de bovins. Ceux ci étaient consommés agés, lorsqu'il ne produisent plus de lait ou qu'ils sont incapables de tirer l'araire.

Les textes d'époque indiquent à quel point les nobles portent un profond dégout, voire un mépris total du régime alimentaire pauvres. Ils les qualifient de mangeur "d'ail grossier" et de "vieux lard". Ils critiquent aussi également leurs manières de table grossières et leur habitude de manger deux à trois fois dans la matinée, pratique rendue nécéssaire par une longue journée de labeur.

Source: à la table des seigneurs, des moines et des paysans du moyen age éd ouest-france ISBN: 978-2-7373-4629-3

Il est un fait certain que les céréales composent la grande majorité de l'alimentation de la grande majorité de la population au XIII°, n'oublions pas aussi le poisson, qui considéré comme un aliment pauvre, et déprécié n'est consommé par les classes aisées que pendant le carême, mais plus souvent par les moins fortunés.

tout à fait, il est d'ailleurs mentionné dans le livre.

Citation :

Le théologien Pierre Abélard s'interroge sur le sens de l'abstinence de viande alors que le poisson destiné à le remplacer s'avère in fine beaucoup plus couteux

Ca m'interpelle un peu, le poisson aurait couté plus cher encore que la viande?

Dans les grandes villes oui, car bien souvent, les filets (installation fixe) appartiennent en fief à un seigneur local, ou, dans le cas d'une ville ayant charte de commune, à la guilde. La partie de rivière exploitable également.
Dans un cas comme dans l'autre, c'est une activité saisonnière, pour que cela soit rentable, un droit assez élevé était exercé sur ceux qui voulait les utiliser. Ajouter à cela que le transport doit être rapide pour conserver la qualité du poisson, et ce transport était souvent le fait d'une autre guilde, qui prélevait aussi un droit !

Dans les petites campagnes par contre, outre les viviers seigneuriaux ou monastiques, la pêche était beaucoup plus artisanale

D'accord, ca explique donc le prix exorbitant que pouvait couter le poisson à Cluny et dont les moines se régalaient.

A propos du poisson je dois reprendre mon bouquin parlant des moines d'Amiens (si je ne me trompe pas) et du prix imposé là-bas.
En tout cas, c'est un fait : plus tu vis loin de la mer, plus tu paie cher ton poisson car la mer est loin et de 2, comme le dit Philippe, si tu le veux frais, faut que ça arrive vite.

De mémoire, comme le vin, la bière remplace fréquemment la nourriture lorsqu'il en manque.
Pas étonnant qu'en Belgique on ait pour habitude de dire "1 bière = 2 tartines"
C'était d'ailleurs courant d'en boire à toute heure car les degrés d'alcool étaiten bien différents.
Mais comme le vin, on trempe aussi le pain dedans.

A part ça, dans les régions qui actuellement sont la Belgique et les Pays-Bas, le beurre était omniprésent sur les tables et pas seulement des pauvres si mon souvenir est bon.
Par contre, il dégoutait beaucoup ceux qui habitaient "au sud" de cette population car pour eux cette denrée est trop grasse.

Maintenant, pour une date précise, je dois relire la page en question



En même temps, côté viande, j'ai plus la liste exacte en tête, mais les riches considéraient certains animaux comme indignes de leur rang.
Ce n'est pas pour rien qu'on trouve à leur table paon, cygne, baleine et "nobles" cervidés alors que le lièvre, le pigeon, les cailles n'étaient pas des plus appréciés par les nobles.

Pour le beurre, c'est encore le cas aujourd'hui, en normandie on apprécie le beurre salé, mais dans le sud il ne faut pas leur en parler.

En ce qui concerne les viandes laissées pour compte par les nobles, il s'agit principalement des bovidés: les vaches.
Mais aussi les chèvres, lapins, et d'autres animaux dit "du sol"

En même temps, pas étonnant que le peuple privilégie les ragouts et viandes mitonnées. Ca ramolli la "vieille" viande dure.

Oui j'avais lu qu'on évitait beaucoup de manger du boeuf tant qu'il pouvait "servir" vu qu'il était l'un des principaux "outils" des champs, mais dans les ménagiers, il y aurait pas mal de recettes à base de boeufs.

Et puis n'oublions pas que le frigo n'existe pas.
Pour conserver la viande, on en revient aux techniques qu'employaient encore nos grands-mère : fruits séchés, viande salée ou séchée, les légumes sont entassés dans des pots et recouverts également d'une couche de sel,...

Et je suis étonnée qu'on ne parle pas de fromage... l' invasion sarrasine (VIIè) a fortement contribué à l'arrivée du fromage dans certaines régions françaises.
Et bon nombre de fromage sont crées durant le MA.
Pour le XIIIè, j'ai pu trouver une info indiquant que c'est en 1267 que fut crée une des premières coopératives laitière de France, à Deservilliers.
En tout cas, à nos tables, en ayant traversé la France, on peut consommer du Comté, du Beaufort, du Gruyère,... et les fromages se conservent évidemment très bien selon la pâte et le lieu de conservation.


Tacuina sanitatis (XIV century)

Et on le mangeait aussi avec des fruits pour favoriser leur digestion (après le melon) ou par simple goût (avec les poires).
Pour preuve (mais j'sais pas de quel livre provient la phrase que je viens de trouver) : Oncques Dieu ne fit tel mariage comme de poire et de fromage, XIIIe.

Pour les fromages, on peut citer le maroille, crée en 960 par les moines de l'abbaye de Maroille. Le munster d'origine Vosgienne, célèbre en France à partir du XIVe siècle. le Cantal, le roquefort,...